Les mots de Marine contre l’image de Jean-Marie

Le 21 décembre 2011

Passés à la moulinette, les discours d'entrée en campagne présidentielle de Jean-Marie et Marine Le Pen révèlent le virage du FN, dans l'incarnation, les références et les verbes... Une nouvelle analyse sémantique du verbe en campagne.

La nouvelle candidate du Front national n’est pas seulement entrée dans la compétition présidentielle avec un autre ton que son père. Elle y est entrée à une autre époque. OWNI a utilisé des outils d’analyse textuelle pour comparer leur discours inaugural de lancement de campagne.

Prononcés le 20 septembre 2006 à Valmy pour Jean-Marie Le Pen et le 11 décembre 2011 à Metz pour Marine Le Pen, leur confrontation montre un abandon des diatribes personnelles et militaires d’un candidat accroché au passé, au profit d’un discours moins égocentrique mais plus critique d’une personnalité qui se présente comme active face à des défis plus européens que mondiaux.

Moins d’égo

Premier élément remarquable de la syntaxe, Marine Le Pen n’est plus la candidate du “je” qu’était son père. Le “je” représente 28,8% des pronoms personnels utilisés par Jean-Marie Le Pen en 2006, là où la nouvelle candidate du FN ne le mentionne qu’une fois sur cinq. Même constat pour le “nous“, qui, s’il compte pour près d’un quart des pronoms chez le premier, chute à un peu plus d’un dixième pour la seconde.

Dans l’auto-référence permanente, l’ancien président du Front mentionne par onze fois son propre nom, et à six reprises, se nomme lui-même, précédent d’un sonore “moi“, qu’il martèle pour poser son poids dans la candidature. En dehors des auxiliaires “être” et “avoir“, le verbe “incarner” est le quatrième plus employé (six occurrences) après “dire“, “faire” et “pouvoir“.

À sa manière, Marine Le Pen se “sarkozyse” en mettant en avant sa capacité à agir face à une ribambelle d’adversaires et d’opposants. Comme son père, elle mentionne plus souvent la gauche (sept fois pour elle, cinq fois pour lui) que la droite (cinq fois pour elle, trois fois pour lui). Mais la démarche politique, elle, est tout autre.

Chef des armées contre candidate

Bien que plus près à Metz de la ligne Maginot et des cimetières militaires de la Grande Guerre, Marine Le Pen ne chevauche pas son destrier de général contrairement à son père. Lancé dans sa diatribe depuis un pupitre de Valmy, Jean-Marie Le Pen coiffe toute sa prise de parole d’un casque de poilu :

Alors à ceux qui osent nous contester ce lieu, quand l’évidence de leurs turpitudes et de leur incurie devrait les faire rentrer sous terre !, je rappellerai que les soldats qui vainquirent ici à Valmy le firent au cri de “vive la Nation !”. Oui, c’est ce même cri que nous poussons – nous et nous seuls – depuis 30 ans au mieux dans le silence, mais le plus souvent sous les quolibets. Qui, d’eux ou de nous, peut prétendre incarner l’esprit de Valmy ?

Placé sous cet “esprit“, le patriarche Le Pen s’en va-t-en guerre : par 15 fois, il fait référence à Valmy, par trois fois comme un succès et par trois autres pour évoquer les “soldats“. Les références historiques sont pour certaines antédiluviennes, remontant jusqu’à Gergovie pour évoquer les “actions héroïques” mais créant d’un trait d’union l’hybride guerrier du “soldat-citoyen“.

Si Marine Le Pen y va également de ses gloires françaises, à commencer par Jeanne d’Arc qu’elle mentionne trois fois, après Clovis et Charles de Gaulle, elle insiste davantage sur les victimes. Par 17 fois, ce sont “les oubliés” qu’elle mentionne. Et le mot “jeune” est le quatrième substantif le plus utilisé de son discours, celui de “jeunesse” étant associé par deux fois au mot “victime“. Ce ne sont pas les souvenirs de Verdun que la candidate est venue raviver à Metz mais celui de Gandrange, dont elle cite trois fois le nom. Autant utilisé que le mot “nation” (sept fois), le mot “chômage” structure le discours en images fortes :

J’en suis convaincue mes chers amis : la France n’est pas condamnée à devenir une friche industrielle géante.

La fille a abandonné le bâton de Maréchal pour forger une nouvelle expression, celle de “Président des oubliés“, une expression que Marine Le Pen ancre dans une réalité. Puisque ces formules sont répétées jusqu’à épuisement au fil du discours, respectivement onze et quatorze fois.

Sauf que ce réel n’est pas le même qu’en 2006. À la tribune de Valmy, Jean-Marie Le Pen a plus parlé de l’histoire et surtout des étrangers que du travail. Le mot “chômage” n’apparaît même pas, alors que l’armée revient trois fois à la charge. L’ex-candidat du FN est dans un face-à-face avec l’histoire et avec le “système” qu’il évoque à tout bout de champ, généralement drapé de sa majuscule :

Moi seul, Jean-Marie Le Pen, contre vents et marées, incarne la vraie rupture, le vrai changement, tandis que tous ces agents du Système, formés par le Système, payés par le Système, pour que dure le Système, s’appliquent à favoriser la même politique destructrice d’emplois français qui nous a tant pénalisés depuis 30 ans et qui – j’ose aussi le dire – leur a bien profité !…

Le référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) marque encore d’une pâle empreinte le propos (“constitution” et “européenne” sont associés trois fois) mais les structures internationales auxquelles s’attaquent le père sont l’OMC et l’Otan. Une structure commerciale et une alliance militaire.

En 2011, la crise est omniprésente dans le discours de sa fille. Le “Système” a cédé sa place à la “Caste“, là encore habillée d’une majuscule, qui revient par six fois dans la bouche de la candidate. Désignant ainsi ses cibles, sans distinction de droite ou de gauche. Remplaçant avantageusement l’expression “UMPS” chère à son père et aux caciques du FN. C’est la “bulle” qui devient “spéculative” quand il faut parler d’une crise dont le coupable présumé selon elle est, lui aussi, omniprésent : l’euro. Absent du discours de 2006, la monnaie unique est le troisième substantif le plus utilisé en 2011 (18 occurrences) ! Les enjeux se sont resserrés pour la candidate à la présidentielle de 2012, il s’agit de “l’Europe ultralibérale” et des “européistes“.

Les destinataires du discours, eux, ne changent pas : chez le père et la fille, “France” et “Français” sont dans le trio de tête, entre lesquels se glissent pour Jean-Marie Le Pen, un “peuple” qui passe après les “jeunes” et le “choix” chez sa fille. Ironie de l’histoire, le discours de Valmy prononcé par le père et qui se termina sur une étonnante adresse aux “Français de cÅ“ur et d’esprit” et aux “Français d’origine étrangèreavait été inspiré par Marine elle-même. Une preuve que, désormais en première ligne, la nouvelle présidente achève un virage qu’elle n’avait fait qu’esquisser pour son père.


Illustration Flickr Ernest Morales
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Analyse des données des deux discours réalisée avec Claire Berthelemy et Birdie Sarominque.

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