Cannabis: légaliser pour mettre fin au deal

En Europe, la France est la plus répressive en matière de drogues mais aussi la plus grande consommatrice de cannabis. Un paradoxe qui a conduit S. Gatignon à relancer la polémique, dans son livre "Pour en finir avec les dealers".

Stéphane Gatignon connaît bien son sujet. Depuis dix ans, il est maire de Sevran, commune de Seine Saint-Denis où les trafics de drogue sont le quotidien des habitants, et il voit que les méthodes actuelles n’ont pas d’effet. Son objectif ?

Libérer des territoires entiers de l’emprise des trafics et de la violence [à cause du] manque de perspectives qui pousse vers le trafic de shit.

Coécrit avec un autre spécialiste, Serge Supersac, ancien policier dans ce département où les trafics de drogue sont légion, Pour en finir avec les dealers dénonce “un système hypocrite”. Et pour en sortir, les deux auteurs proposent que les poursuites judiciaires contre les consommateurs soient supprimées et que l’Etat organise lui-même la production et la distribution de cannabis.

“Répression = solution”

Dans un communiqué paru immédiatement après la publication du livre, ALLIANCE police nationale, principal syndicat de police en France, parle d’une “vraie mauvaise idée”:

Il faut des sanctions judiciaires fermes et réellement exécutées par ces délinquants qui pourrissent et terrorisent la vie de milliers d’honnêtes gens.

Mettant en avant un “véritable danger de santé publique” et dénonçant un trafic bien plus porté par “l’argent facile” que le manque de perspectives, le syndicat s’oppose en tous points à l’édile écologiste : la cause de ces problèmes de drogue vient selon eux d’un manque de moyens de répression.

Opposition droite-gauche

A l’occasion des débuts de la campagne présidentielle, l’opposition, classique, entre les “pro” et les “anti” de la dépénalisation est une fois de plus relancée. A droite, on s’oppose catégoriquement à toute autorisation. A gauche, les avis sont plus contrastés, même si la dépénalisation semble l’emporter. Le débat risque d’être houleux, d’autant plus que Daniel Vaillant, député-maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris, favorable à la légalisation, doit publier mi-mai un rapport sur la légalisation du cannabis.

La France a de fait l’une des législations les plus strictes. Dans l’Hexagone, le seul fait de défendre la légalisation place la personne ou l’organisation hors-la-loi, car il est interdit de “présenter sous un jour favorable” les stupéfiants de tout genre. On ne fait pas de distinction entre l’herbe, la cocaïne ou le LSD, de sorte que la sanction pour sa vente peut atteindre les dix ans de prison, tandis que sa consommation peut entraîner une peine d’un an. Et si vous en cultivez, vous risquez 20 ans d’emprisonnement ferme. La situation est quasi-similaire en Pologne, en Suède, en Grèce ou en Turquie, où la consommation est interdite et la légalisation pas à l’ordre du jour.

En Europe, les législations différent fortement d’un pays à l’autre, depuis la dépénalisation jusqu’à la criminalisation, en passant par l’usage toléré. Avis aux amateurs: mieux vaut savoir quels sont les territoires les plus répressifs.

L’Europe a la tête qui tourne

Pionniers depuis 1971, les Pays-Bas n’ont pas légalisé, mais réglementé l’usage du cannabis. Chaque individu peut détenir jusqu’à cinq grammes et les coffee shops, seuls lieux autorisés à en vendre, peuvent en stocker 500. Confronté au “tourisme” de stupéfiants, qui attire chaque année deux millions d’adeptes aux drogues douces dans les rues de ses villes, les Néerlandais prévoient désormais d’interdire l’achat aux étrangers qui n’habiteraient pas le pays. Manière aussi de donner satisfaction à ses voisins européens, France, Allemagne et Belgique en tête, où la législation est moins permissive.

En République tchèque et en Espagne, fumer du cannabis n’est, de fait, plus un délit. A condition de consommer chez soi et de ne détenir que de petites quantités. En Espagne, malgré une interdiction de “fabrication et de trafic”, la consommation et la possession en lieu privé est tolérée par les juges, jusqu’à une limite de 50 grammes. Depuis 2006, il est également possible de vendre des graines de Cannabis ainsi que de cultiver la plante en espace privé. L’important reste de ne pas troubler l’ordre public.

Le Portugal reconnait aussi, depuis 2001, le droit à la consommation personnelle d’herbe. On peut posséder 25 grammes de cannabis correspondant, selon le législateur, à dix jours de consommation individuelle. Le consommateur est considéré non plus comme un criminel, mais comme un malade que l’on invite à se présenter devant une “commission de dissuasion” pour se faire soigner. Psychologue, avocat et assistante sociale décident alors si le cas relève d’un traitement ou d’une amende qui va de 25 à 150 euros. C’est donc la prévention qui a été privilégiée au Portugal, état souvent cité en exemple, dans la mesure où la dépénalisation n’a pas entraîné un bond de la consommation : sur une population de dix millions d’habitants, seuls 7 500 personnes sont passées devant les commissions de dissuasion en 2009.

D’autres pays ont dépénalisé la consommation tout en conservant l’infraction pour possession, culture et vente. C’est le cas pour l’Allemagne, le Danemark, la Belgique, l’Autriche, l’Italie, l’Islande et le Luxembourg.

Un “médicament” en vogue

Depuis la fin des années 1990 la consommation de cannabis s’est avérée efficace dans les traitements contre la douleur et chez les patients bénéficiant de soins palliatifs. Sur le continent, les pays qui autorisent la consommation à des buts médicaux sont l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Espagne, la Belgique, la Finlande et le Royaume Uni, tout comme quatorze États nord-américains, dont la Californie. Depuis 1999, la France prévoit, dans des cas exceptionnels, des Autorisations Temporaires d’Utilisation (ATU) d’un cannabinoïde : le dronabinol.

La Turquie produit, dans des usines contrôlées par l’État, de petites quantités de cannabis à des fins thérapeutiques. Seules l’Espagne et la Belgique permettent la constitution de clubs ou associations coopératives (sans but lucratif) pouvant cultiver la plante. Pourtant, il est habituel dans toute l’Europe de repérer dans ses rues des terrasses plantées de chanvre pour une consommation privée : une étude publiée en 2008 par l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies affirme que 50% de la consommation de weed au Royaume Uni provient de plantations privées clandestines.

Article initialement paru sur myeurop.info

Illustrations CC flickR par Lenny Montana

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