Médecine personnalisée et brevets sur les gènes

Le 31 octobre 2010

Deux chercheurs ont créé un logiciel libre pouvant identifier 68 mutations associées à une susceptibilité accrue aux cancers du sein et des ovaires. Ils sont volontairement passés outre plusieurs brevets sur les gènes.

Titre original : “Du droit de bidouiller : un test génétique fait fi des brevets sur les gènes”

Dans un article publié il y a quelques jours dans la revue Genome Biology, deux chercheurs de l’Université du Maryland ont créé un programme pouvant identifier 68 mutations associées avec une susceptibilité accrue aux cancers du sein et des ovaires.

Jusqu’ici, rien de spectaculaire : il y a un tas de geeks qui écrivent des programmes extras. Celui-ci est tout de même un peu spécial : comme je l’avais relaté il y a quelques mois, la bataille juridique autour des brevets accordés à l’entreprise Myriad Genetics pour la possession et exploitation exclusive des séquences des gènes incriminés fait rage. Voilà que ce programme (libre) présente un test génétique do-it-yourself (« faites-le-vous-mêmes ») et ce, sans avoir peur de brevets.

Retour en arrière : c’est le juge Sweet (il a le nom adéquat, en plus) qui avait invalidé les brevets sur les gènes BRCA1 et BRCA2 il y a quelques mois. Myriad Genetics, l’entreprise les ayant déposés, n’a pas du tout aimé et essaie de casser cette décision mais a beaucoup de mal. Le cas Bilski a jeté un sérieux pavé dans la mare stagnante des brevets logiciels et de gènes.

Dans leur publication, Salzberg et Pertea présentent donc leurs motivations en indiquant clairement que le système des brevets est un système obsolète et dépassé dont le seul résultat est de rendre l’information inaccessible aux gens.

Une bataille contre le brevetage du vivant

Ainsi, conjuguant les avancées récentes dans les séquençages de génomes d’individus et donc, l’avancement de la médecine personnalisée, ils ont conçu un programme informatique vous permettant de rechercher 68 mutations identifiées associées à une susceptibilité accrue aux cancers du sein, des ovaires et autres.

En réalité, il devient de plus en plus évident (pour ceux pour qui cela ne l’était pas encore) qu’il n’est plus possible d’entretenir ce système paradoxal et insensé. Environ 20% des gènes humains identifiés à ce jour sont brevetés, d’autres font la queue pour l’être. En dehors de l’idée de breveter un truc qui simplement existe, en dehors de l’idéologie de partage, on peut tout simplement suivre l’actualité et réfléchir deux minutes.

Le séquençage de génomes est une technique bien établie, qui marche très bien (le taux d’erreur est négligeable) et surtout qui est de plus en plus bon marché. Des logiciels (la quasi-totalité libres) d’assemblage existent à la pelle et la base de données OMIM dédiée aux maladies humaines de toutes sortes regorge d’information à un tel point que parfois, c’est limite inutilisable.

Il n’est pas du tout fantasque de dire que d’ici dix ans, peut-être même moins, chacun aura sa séquence génomique sur un support de mémoire externe genre flash1.  Mais alors, dans quel cas se retrouvera-t-on si le brevetage de gènes continue ? Dans la situation totalement absurde de devoir payer le droit de voir son propre génome !

Ainsi, les chercheurs ont prévu de continuer le développement du logiciel. En effet, ils n’ont pas peur de poursuites et estiment qu’il relève de la santé publique que de créer un logiciel librement distribuable à tout un chacun à l’aide duquel on peut regarder si on possède des mutations à risque. Ils ont demandé un financement de 300.000 dollars pour pouvoir continuer le développement et inclure d’abord les 1000 mutations identifiées dans BRCA1 et BRCA2, mais aussi toutes celles associées à des maladies humaines.

De plus, ils souhaitent joindre la publication décrivant une mutation donnée à celle-ci pour permettre aux gens d’acquérir une plus grande culture médico-scientifique. Et s’il est vrai que lire ce genre de document n’est pas aisé pour qui n’est pas scientifique, on peut toujours se rendre chez son médecin pour des éclaircissements.

La preuve de la contreproductivité du brevet

En conclusion, on peut dire que ce proof of concept est un excellent pied-du-nez à Myriad et la « propriété intellectuelle ». Même si actuellement, un très petit nombre de personnes ont accès à leur séquence génomique, les choses changent très vite dans ce domaine. Les auteurs pensent que les quelques années nécessaires au développement du logiciel pour qu’il soit pleinement utilisable et couvre toutes les mutations associées à des maladies suffiront pour qu’il coûte moins cher pour un citoyen lambda de faire séquencer son génome que de payer Myriad et consort.

Il est également évident qu’un effort particulier devra être fait au niveau de l’enseignement en médecine pour apprendre aux praticiens la génétique à l’ère des génomes et autres ensembles globaux de données fines d’un organisme humain. Cela permettra de joindre les efforts de la science à se rendre directement accessible aux citoyens avec la prévention de l’automédication et l’augmentation des compétences en sciences bio-médicales de nos soignants.

>> Article publié initialement sur LinuxFr.org.

>> Illustrations CC : Epicatt et opensourceway

  1. Je ne vais pas me lancer ici dans une discussion sur le fait de rendre publiques sa séquence personnelle et celles de ses proches. Les plus paranos imagineraient probablement le pire, mais on est encore bien loin de pouvoir juste recouper les données d’un monsieur et une dame et deviner la séquence de leur bébé. Très loin. On ne sait même pas encore expliquer toutes les sortes d’éléments constitutifs du génome, alors avant de savoir prédire leurs comportements, beaucoup de temps passera. Mais cet aparté est là juste pour indiquer que la discussion sur le fait de rendre publique des génomes individuels commence à peine à pointer son nez. []

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