OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le Parlement européen s’oppose aux armes de surveillance http://owni.fr/2012/11/08/le-parlement-europeen-soppose-aux-armes-de-surveillance/ http://owni.fr/2012/11/08/le-parlement-europeen-soppose-aux-armes-de-surveillance/#comments Thu, 08 Nov 2012 14:11:14 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=124878 digital freedom strategy

“Vente d’armes électroniques : la fête est terminée”, se réjouissaient mercredi nos confrères de Reflets.info. Ils saluaient “l’adoption par le Parlement Européen d’amendements destinés à encadrer  plus strictement l’exportation d’armes électroniques. Ces amendements au règlement (CE) n° 428/2009 (Format PDF) sont le fruit des travaux de la parlementaire néerlandaise Marietje Schaake.”

Suite aux révélations sur la vente d’outils d’espionnage des communications aux dictatures syriennes et libyennes par des entreprises occidentales comme Amesys ou Siemens, l’Union européenne ne pouvait pas rester immobile : le Printemps arabe a fait souffler un vent d’auto-critique sur nos institutions. Citant Numerama, Reflets se félicite encore : “un règlement en droit européen est obligatoire et d’application immédiate.”

Le poids des lobbies

De là à sortir le champagne, il y a un pas, le mousseux est pour l’heure plus de circonstance, comme le signalait Félix Tréguer, de La Quadrature du Net. Il nuance :

Cette modification du règlement est le fruit de ce qui s’est passé à l’automne dernier. Cela interdit le principe d’une autorisation générale d’exportation, mais n’instaure pas non plus de contrôle a priori.

En septembre de l’année dernière, des eurodéputés ont en effet “obtenu l’accord du Conseil de l’UE pour modifier l’instrument communautaire de contrôle des exportations de biens à double usage civil et militaire, afin d’y inclure les technologies d’interception et d’analyse des communications électroniques”, expliquait-il dans une tribune sur Le Monde.

Certes, un progrès puisqu’avant, les technologies duales n’étaient pas soumises à une autorisation, laissant les États-membres libres. Toutefois, la mesure est surtout cosmétique, soulignait-il :

Les pressions du gouvernement allemand ont amené les eurodéputés à renoncer à un système de contrôle a priori des technologies de censure. Les entreprises pourront ainsi déclarer leurs exportations jusqu’à trente jours après la livraison du matériel. En outre, il incombera aux seuls États membres de s’assurer du bon respect de ces règles, et il y a fort à parier que les considérations commerciales l’emporteront sur les engagements moraux.

Au pays de Candy

Au pays de Candy

Candy : c'est le nom de code de l'opération organisée depuis la France et consistant à aider le régime de Kadhafi à ...

De même, la “Strategy No disconnect”, initiée par la Commission européenne en décembre 2011, n’a pas de quoi faire vraiment trembler les entreprises visées. Il n’est pas question de contrainte. Dans son discours de présentation, la vice-présidente de la CE en charge de l’agenda numérique Neelie Kroes avait ainsi parlé de “stimuler les entreprises européennes pour qu’elles développent des approches d’autorégulation (ou d’en rejoindre des existantes, telles que la Global Network Initiative), de façon à ce que nous cessions de vendre aux dictateurs des armes de répression numériques”.

La CE travaille aussi sur un projet de surveillance de la censure sur Internet. L“European Capability for Situational Awareness” (ECSA), “essayera d’assembler, d’agréger et de visualiser des informations mises à jour sur l’état de l’Internet à travers le monde”.  Bref, pas grand chose d’innovant susceptible de faire bouger le dossier.

Vote en décembre

Le renforcement du contrôle dépend désormais de l’attention que portera la Commission européenne à un rapport [pdf] de la commission des affaires étrangères (AFET),  “sur une stratégie pour la liberté numérique dans la politique étrangère de l’UE”, conduit sous la houlette de Marietje Schaake de nouveau.

Ce texte est un appel du pied à la CE pour qu’elle modifie davantage encore la loi, dont elle a seule l’initiative. Mardi, le rapport a été adopté par l’AFET. Les points 12 à 19, dans la partie “commerce”, sont une incitation claire et forte à aller plus loin :

13 – se félicite de l’interdiction visant l’exportation à destination de la Syrie et de l’Iran de technologies et de services utilisés à des fins de répression ; estime que cette interdiction devrait constituer un précédent pour la mise en place de restrictions structurelles, telles qu’une clause “fourre-tout” applicable à l’échelle de l’Union ou l’établissement de listes spécifiques par pays dans le cadre réglementaire relatif aux biens à double usage ;

14 – souligne la nécessité de contrôles plus rigoureux de la chaîne d’approvisionnement et de régimes plus stricts de responsabilité des entreprises en ce qui concerne la commercialisation des produits – depuis les équipements jusqu’aux dispositifs mobiles – et des services pouvant être utilisés pour restreindre les droits de l’homme et la liberté numérique ;

15 – considère certains systèmes et services ciblés de brouillage, de surveillance, de contrôle et d’interception comme des biens à usage unique dont l’exportation doit être soumise à autorisation préalable ;

Le vote aura lieu en session plénière en décembre. Libre ensuite à la Commission européenne d’entendre cet appel. Ou de continuer de tendre une oreille attentive aux lobbies.


Photo par emonk [CC-byncsa]

]]>
http://owni.fr/2012/11/08/le-parlement-europeen-soppose-aux-armes-de-surveillance/feed/ 2
Un voyage pharaonique en BD http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/ http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/#comments Fri, 06 May 2011 17:04:09 +0000 Golo & Dibou http://owni.fr/?p=61588 “Chroniques de la nécropole” est une BD à part. De celle qui raconte à la fois un destin personnel et celui d’un peuple. L’histoire perso est celle de Golo et Dibou, un couple de Français qui s’est installé au bord du Nil, tout près de Louxor et de son trésor archéologique. Deux artistes (lui dessine, elle coud) qui tombent amoureux d’une terre et de ses habitants, pauvres paysans égyptiens.

Face à l’afflux des touristes et à la menace des attentats islamistes, les autorités décident en 2006 de créer une vaste zone désormais inhabitable. Objectif : créer une sorte de Disneyland des pharaons, au prix d’une délocalisation forcée du village de Gournah. Sans trahir le suspense, la fin est triste… mais la Révolution égyptienne pourrait bien changer le cours des choses. Pour les lecteurs d’OWNI, voici un extrait de l’album et une longue discussion avec ses auteurs.

Photo Ophélia Noor en CC pour OWNI

]]>
http://owni.fr/2011/05/06/un-voyage-pharaonique-en-bd/feed/ 2
[ITW] Golo: “La réaction citoyenne des Egyptiens” http://owni.fr/2011/05/06/itw-golo-la-reaction-citoyenne-des-egyptiens/ http://owni.fr/2011/05/06/itw-golo-la-reaction-citoyenne-des-egyptiens/#comments Fri, 06 May 2011 16:53:58 +0000 David Servenay http://owni.fr/?p=61545 De passage à Paris pour la sortie de leur album “Chroniques de la Nécropole” (éditions Futuropolis), Golo et Dibou livrent leur vision de l’Égypte d’aujourd’hui. Une Égypte à la fois libérée et anxieuse, une Égypte qui a “retrouvé son sens de l’humour”, précise le dessinateur.

Dans cette histoire, le couple retrace la chronique d’un véritable Disneyland pharaonique au bord du Nil. Un projet qui, par sa démesure, provoque l’expulsion des paysans du village de Gournah, chassés par un pouvoir concevant le tourisme comme une industrie de masse. Dans ces pages, il y a beaucoup d’humour et d’autodérision. Pas mal de noirceur et un soupçon d’espoir. L’occasion de faire le point sur les vertus de la bande dessinée appliquée à un sujet éminemment politique.

Vous êtes toujours installés à Gournah?

Golo : Oui, on habite au village, à 700 kms au sud du Caire. Face à la colline qui a été rasée, il reste quelques maisons de l’autre côté de la route. C’est la dernière tranche qui doit être détruite. C’est une zone des antiquités, où les autorités veulent racheter les terres cultivées par les paysans depuis des siècles. Toute la partie agricole du village va donc passer dans la zone du « Disney pharaonique ». C’est le « plus grand musée à ciel ouvert du monde » comme ils disent.

Dibou : Et qui dit musée, dit « pas d’habitant ».

Avant de parler de Gournah, vous vous attendiez à cette Révolution égyptienne?

Dibou : Je l’ai découvert sur Facebook, avec des vidéos montrant des dizaines de milliers de manifestants.

Golo : Le premier jour où les gens ont manifesté, c’était officiellement la fête de la police ! La réaction des autorités a été d’une brutalité inimaginable et ça a provoqué la Révolte. Il y avait alors dans l’air l’exemple de la Tunisie qui a montré aux gens que « oui, c’est possible ». Et puis, après avoir fait le premier pas, la première manif, les gens ne pouvaient plus reculer.

Dans votre village, comment s’est déroulée la Révolution ?

Golo : Dès les premiers jours, toutes les communications ont été coupées : plus d’internet, plus de téléphone portable, plus de trains, plus d’avions… Tout cela pour éviter la contagion de la révolte. Il restait juste la télé, alimentée par les antennes paraboliques. Nous n’avons pas la télé, on allait chez les voisins où les gens regardaient la Révolution. Pendant toute cette période, la police a disparu ! Dans toute l’Egypte, on ne voyait plus un uniforme. Ils étaient tous en civil ou alors c’était les truands servant d’agent provocateur.

La population s’est donc organisée spontanément dans les quartiers. Ils assuraient la sécurité, la circulation… dans les grandes villes comme au village.

Et aujourd’hui, la police est revenue ?

Dibou : Oui, mais les policiers savent que la population n’a plus peur. Les gens ne sont plus rackettés par les policiers dans la rue. Ni les chauffeurs de bus, ni les petits vendeurs de poupée… Cela a rendu aux gens leur fierté et l’espoir.

Golo : Au quotidien, il y a encore beaucoup d’inquiétude, liée à l’incertitude de la situation. Les gens attendent les élections. Et puis, il a y a des vols et de la provocation de la part de ceux qui étaient au pouvoir.

Peut-on craindre un retour des Frères musulmans ?

Dibou : Les Frères musulmans ont complètement raté le coche. Ils n’ont rien vu venir et heureusement… De toute façon, les Egyptiens n’en veulent pas.

Golo : Au sein des Frères musulmans, les gens ne sont pas d’accord entre eux. Il y a eu des élections à l’université où les FM ont nettement reculé. Les Français sont obsédés par cette question, pas les Égyptiens.

La BD est-elle en train de vivre une phase de retour vers les sujets politiques, comme vous le faites dans ces Chroniques de la nécropole ?

Golo : J’ai toujours pensé que la BD est un moyen d’expression à part entière. On peut être historique, personnel, onirique… Je ne connais pas de limite à la BD.

Dibou : Cela se veut un témoignage de ce qui a été et qui n’est plus. Sans cet album, il n’y aurait plus de traces. Il y avait aussi toutes les photos amassées pendant des années sur Gournah. L’idée de la BD avec les photos s’est imposée naturellement.

Golo : Autre exemple, lorsque le village a été rasé par des bulldozers, j’ai pris des photos. Mais pour moi, c’était trop déchirant. Je ne pouvais pas dessiner ces scènes-là.

Est-ce que la population a été consultée sur ce projet de relocalisation du village ?

Golo : Non. Ces villageois sont niés dans leur existence. Pour le pouvoir, il fallait chasser l’image de l’habitat. Le touriste ne doit pas voir le pauvre paysan égyptien. Tout doit disparaître. Seules doivent rester les pierres. L’archéologie a complètement rebâti Hatshepsout en reconstituant les lieux.

Les archéologues se sont-ils exprimés sur ce projet ?

Golo : Certains s’en fichaient complètement. Mais ils sont coincés, car pour les fouilles, ils ont besoin d’autorisation de la part du service des antiquités. Le Français Christian Blanc s’est exprimé dans Le Monde, en raison des rapports de proximité qu’il entretient avec ses ouvriers. Les ouvriers des archéologues sont tous des gens du coin.

Pourquoi êtes-vous aussi ironique, voire caustique… y compris sur vous-mêmes ?

Dibou : En Occident, on est obsédé par le boulot. Lorsque je discutais avec mes amis égyptiens, ils finissaient par me dire : « tu nous parles de ton travail tout le temps, mais tu ne dis rien sur toi ». Donc, je suis venu à Gournah pour m’arrêter sur moi-même, même si cela n’a pas toujours été évident : on est dans une vie trépidante et tout à coup, on peut être saisi par l’ennui. Me vider la tête de mes clients [Dibou était consultante en marketing, Ndlr], ça a été plus compliqué que le problème de l’argent. Le plus dur a été de reconnaître mes envies et puis on a une vie très monacale.

Avec la Révolution, vous pensez que le tourisme pourrait aussi changer… ?

Golo : Jusqu’à présent, les gens sur place n’ont que les miettes des miettes de tout ce business. Si ça pouvait les aider à vivre correctement, ça serait bien. Une bonne partie de la population a envie que ça change.

Dibou : Pas de mal de gens ont été mis en taule. Le gouverneur de Louxor, par exemple, a été jeté en prison. Il va y avoir des jugements pour corruption.

Golo : Dans la Révolution égyptienne, ce qui m’a marqué, c’est à quel point les gens ont eu une réaction citoyenne après des années d’oppression. Sur tous les aspects : la sécurité, la circulation, l’organisation… ça donne de l’espoir ! Les gens prennent conscience qu’ils peuvent changer les choses, que ce n’est pas la volonté venue d’en haut, de Dieu ou d’autres ! La façon dont ils ont utilisé Internet, ils ont été merveilleux d’invention.

Le prochain album sera celui de l’espoir…

Golo : J’espère qu’il sera positif. Mais les jeunes du village relocalisé dans le désert m’ont redonné espoir. Ils ont rebaptisé la place du village « place Tahrir » !

Ils pourront lire votre BD ?

Dibou : Oui, nous allons en apporter des exemplaires en rentrant. Jusqu’à maintenant, tous les albums de Golo ont été censurés pour on ne sait quelle raison…

Golo : Cela me rappelle une anecdote. Lorsque j’ai adapté le livre « Mendiants et orgueilleux » en BD, Albert Cossery m’avait dit : « enfin, les illettrés vont pouvoir me lire » !


Photos : Ophelia Noor en CC pour OWNI /-)

]]>
http://owni.fr/2011/05/06/itw-golo-la-reaction-citoyenne-des-egyptiens/feed/ 29
Les jeunes égyptiens: des enfants terribles http://owni.fr/2011/05/06/les-jeunes-egyptiens-des-enfants-terribles/ http://owni.fr/2011/05/06/les-jeunes-egyptiens-des-enfants-terribles/#comments Fri, 06 May 2011 16:28:00 +0000 Marion Guénard http://owni.fr/?p=61436 Début février, au plus fort de la révolution égyptienne, des centaines de messages rebondissent comme des balles de ping-pong sur les profils Facebook et Twitter des jeunes révolutionnaires. « Arrête de demander à papa Moubarak de dégager ! Ce n’est pas très sympa ! Il est comme ton père ! » Ces nokta égyptiennes, des traits d’humour teintés d’ironie, fusent en réponse au discours du président, le 1er février, qui tente de faire vibrer la corde sensible.

Usant d’une rhétorique politique bien rodée, le vieux raïs se présente comme le « Père de la nation » et assure qu’il mourra « sur le sol égyptien ». Ses fidèles relaient le message. C’est le cas notamment de Mortda Mansour, avocat controversé, aujourd’hui en prison pour avoir incité les pro-Moubarak à attaquer les manifestants pacifistes de Tahrir.

Vous, les jeunes de la place Tahrir, si vous parlez de cette façon-là au président, cela signifie que vous pouvez parler de cette façon-là à votre père. Vous n’avez aucune éducation.

Ainsi vocifère Mortda Mansour sur le plateau d’une chaîne de télévision nationale. Pour Pacynthe, pharmacienne de 30 ans, c’était la déclaration de trop. « Il nous a insultés ! Je respecte mes aînés. Mais, à aucun moment, je n’aurais changé d’avis. Le sang a coulé, il y a eu des morts. À partir de là, il n’était pas question qu’il reste ! », se souvient la jeune femme, qui a arpenté à de nombreuses reprises la place Tahrir.

Désobéir au père

Le 11 février, Hosni Moubarak est finalement parti. En 18 jours, la jeunesse égyptienne a mis fin à trente ans de régime autoritaire et corrompu. Mais pas seulement. Elle a également bouleversé les valeurs d’une société encore traditionnelle, où les aînés incarnent l’autorité et où, par effet de vase communiquant, les plus jeunes se voient écartés de toute responsabilité, alors même que les deux tiers des 80 millions d’égyptiens ont moins de trente ans.

« Même si les mentalités évoluent, l’Égypte est encore aujourd’hui une société patriarcale. Le père y a une place centrale. C’est surtout vrai dans les campagnes où c’est lui qui détient l’autorité. Il donne les ordres et escompte être obéi. Il est responsable des finances du foyer », explique Ahmed Fayyed, psychiatre d’une trentaine d’années. Pour le médecin, la révolution du 25 janvier s’accompagne d’une révolution symbolique, dont l’onde de choc continue de secouer la société.

Ce n’est pas seulement un soulèvement contre Moubarak, mais contre tout ce système patriarcal. Pendant la révolution, de nombreux jeunes ont d’abord désobéi à leur père pour aller manifester contre le président. Malgré les injonctions paternelles, ils sont descendus dans la rue et, hommes et femmes, ils ont mis le régime à terre, poursuit le médecin.

Un jeune égyptien dans les rues du Caire - le 30 Janvier 2011

Ahmed Sélim est un des jeunes de la révolution. Originaire de la région de Charqeyya, au nord du Caire, il est arrivé place Tahrir le 29 janvier et ne l’a quittée que deux semaines plus tard. Il a dû batailler ferme avec sa famille. « Après le discours du 1er février, mon père, mes frères m’ont mis la pression pour que je rentre. Ils ont eu de l’empathie pour Moubarak et m’ont dit : “ça suffit ! Il a dit qu’il partirait dans six mois. Qu’est-ce que tu veux de plus ?” Moi, je savais qu’il avait déjà fait des promesses non tenues pendant trente ans. Alors, pourquoi croire celle-là ? », raconte ce professeur de 26 ans. Aujourd’hui Ahmed Sélim savoure sa victoire. Une double victoire en réalité.

Quand je suis rentré à la maison, mes parents m’ont dit : “tu n’as pas seulement fait une révolution contre le régime, mais contre nous également“. Nous pensions que vous étiez des petits jeunes qui ne savent rien. Or, vous avez tout compris. Vous nous avez ouvert les yeux !”

Un peuple jusque là infantilisé

Les jeunes égyptiens ont donc tué le père ? En tout cas, ils ont réussi à faire changer le cours des événements alors que leurs parents n’en rêvaient même plus. « Dans l’histoire de l’Égypte moderne, c’est Gamal Abd el Nasser le premier qui s’est posé en président paternaliste. Il a infantilisé le peuple. Les Égyptiens se sont alors représentés eux-mêmes comme dépendants et irresponsables. Cette idée est ancrée dans les mentalités depuis une soixantaine d’années », analyse Khalil Fadel, psychiatre.

C’est un sentiment que partage le père d’Ahmed Sélim:

Nous n’avons pas vécu la même situation. Après tant d’années d’oppression, nous nous sommes habitués à Moubarak. Nous n’avions plus d’espoir. La peur s’était inscrite trop profondément en nous, confie le père à son fils.

Depuis la révolution, de nombreux verrous ont sauté. La contestation, jusqu’alors muselée, s’est propagée partout. Après la figure tutélaire du chef, beaucoup d’égyptiens ont dénoncé toute forme d’autorité abusive. Des manifestations ont éclaté dans les entreprises, dans les universités, dans les organes de presse. Même la situation reste chaotique et l’attitude de l’armée, qui dirige désormais le pays, ambiguë, Pacynthe est résolument optimiste :

Il n’y aura pas de retour en arrière. Nous avons fait la révolution. Désormais, nous n’accepterons plus une autorité au-dessus de nos têtes, qui décide pour nous. Nous voulons un président qui nous représente, qui fasse bien son travail et en qui nous pouvons avoir confiance. Pas un héros, ni un papa.

Photos CC FlickR AttributionNoncommercialShare Alike Maggie Osama et AttributionNoncommercial darkroom productions

]]>
http://owni.fr/2011/05/06/les-jeunes-egyptiens-des-enfants-terribles/feed/ 1
Frères musulmans: ces questions qui agitent l’Occident http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-ces-questions-qui-agitent-loccident/ http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-ces-questions-qui-agitent-loccident/#comments Thu, 17 Feb 2011 15:39:31 +0000 Pierre Alonso & Stanislas Jourdan http://owni.fr/?p=47107 Depuis le début des manifestations qui ont abouti au départ d’Hosni Moubarak, l’attention des médias occidentaux s’est portée sur les Frères musulmans (jamiat al-Ikhwan al-muslimin). Aujourd’hui plus que jamais, des inquiétudes se font entendre quant à un éventuel « danger islamiste » en Égypte.

La rédaction d’OWNI s’est penchée sur la question afin de mieux comprendre ce mouvement protéiforme en répondant à six questions:

Les Frères musulmans sont-ils diabolisés par les médias occidentaux?

Le 1er février dernier, Fox News mettait en lumière les liens entre plusieurs membres des Frères musulmans et Al Qaida afin de justifier l’appellation de “parrain d’Al Qaida” pour désigner la confrérie.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Ces allégations sont trompeuses. En effet, s’il est certain que des figures importantes des Frères musulmans telles que Ayman Al-Zawahiri se sont tournées vers Al Qaida, elles n’en approuvent pas pour autant les positions de la confrérie et n’en sont d’ailleurs souvent plus membres.

On trouve également un certain nombre d’erreurs factuelles dans les médias français. Dans un reportage de Arte titré “Les Frères musulmans en embuscade”, on nous apprend par exemple que les Frères musulmans auraient 88 députés, en omettant totalement de mentionner la déroute des dernières élections législatives. Rue89, de son coté, présente la confrérie comme une organisation violente dès l’origine, ce qui est historiquement faux.

Dans un autre registre, l’émission Mots croisés du 7 février est un exemple frappant de la manière dont les médias français tendent à exagérer les craintes vis à vis de la “menace islamiste” en Égypte. Dans cette émission peu réputée pour son populisme, l’animateur Yves Calvi aura pourtant réussi à diffuser une bonne dose d’inquiétudes par ses (très) insistantes questions sur la menace que constituerait les Frères musulmans. Cette obsession est d’ailleurs tellement flagrante que Arrêt Sur Images a pris la peine d’en faire une compilation vidéo qui vaut bien le détour – et nous évitera de longs discours :

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Les prises de position d’un certain nombre d’intellectuels médiatiques français  à l’égard de la révolution égyptienne peuvent également paraitre surprenantes. Dans une tribune virulente, le géopolitologue français Pascal Boniface dénonce successivement Alexandre Adler, Bernard Henri Levy et Alain Finkielkraut:

Curieusement nos trois vedettes médiatiques  s’inquiètent fortement de l’arrivée au pouvoir d’un mouvement intégriste religieux n’ont jamais rien dit contre le fait qu’en Israël un parti de cette nature soit membre depuis longtemps de la coalition gouvernementale. Le parti Shass un parti extrémiste religieux (et raciste) est au pouvoir en Israël avec un autre parti d’extrême droite celui-ci laïc et tout aussi raciste, Israel Beiteinu. (…) Les masques tombent. Nos trois intellectuels dénoncent un éventuel extrémisme en Egypte mais soutiennent celui au pouvoir en Israël.

Lorsque l’on s’intéresse d’un peu plus près au mouvement des Frères musulmans, on a l’impression d’un décalage entre l’image reflétée par les médias et la réalité des discours et de l’histoire du mouvement. Plutôt qu’une organisation extrémiste – à la limite du terrorisme – à laquelle on pensait naïvement avoir à faire au premier abord, on découvre petit à petit l’histoire beaucoup plus contrastée du mouvement. Ce sentiment se confirme d’ailleurs en discutant avec des égyptiens (lire sur OWNI le témoignage d’une française au Caire sur le sujet).

D’où viennent les Frères musulmans?

Le mouvement des Frères musulmans apparaît en 1928 dans Égypte coloniale. Son fondateur, Hassan Al-Banna entend symboliser une modernité islamique, mélange de références coraniques et de discours anti-coloniaux qui concurrencerait les idéologies européennes. L’idéal de justice sociale se mêle au ressentiment envers les Anglais qui confine parfois à la xénophobie. Une idée maintient le jeune groupe, alors très disparate : la société égyptienne s’est pervertie dans l’occidentalisation, il faut la ramener sur le droit chemin, islamique.

En lutte, parfois violente, contre le régime, les Frères musulmans sont réprimés. Al-Banna ne survit pas au mouvement qu’il a créé. Il est assassiné en 1949, soit trois ans avant la chute de la monarchie. Allié au leader nationaliste Gamal Abdel Nasser, les Frères musulmans participent à l’abdication du roi Farouk en 1952 et à l’établissement d’une république. Mais leur participation au nouveau régime est courte. L’entente de circonstance ne résiste pas aux dissensions fondamentales entre le projet nationaliste nassérien et le projet islamiste des Ikhwan (“frères” en arabe). La tentative d’assassinat de Nasser, attribuée à la Confrérie, signe la fin, brutale, de l’alliance. En 1954, le mouvement est dissous et interdit. Les membres qui ne sont pas arrêtés choisissent l’exil.

Qutb l’idéologue

C’est à partir de là que Sayyid Qutb, deuxième et sulfureux idéologue du mouvement, gagne en audience. Plus radical qu’Al-Banna, il prône une rupture complète avec le système politique en place. Al-Qaida se réclame d’ailleurs aujourd’hui des idées de Qutb, quitte à en modifier le contenu, alors que du coté des Frères musulmans, il ne fait pas l’unanimité. Le débat se poursuit même après son exécution par le pouvoir nassérien en 1966.

Sous Anouar El Sadate, président à partir de 1970, le mouvement connait une nouvelle scission. Auteur des accords de paix avec Israël en 1979, Sadate est assassiné par un membre d’un groupe dissident des Frères musulmans, al Jihad. Moubarak réprime fortement les branches les plus radicales. Le noyau dur de la confrérie se restructure, mais elle reste formellement interdite.

En 2005, lors des élections législatives, les candidats des Frères musulmans, officiellement indépendants, remportent 88 sièges sur 454 au Parlement. Leçon retenue par feu le pouvoir de Moubarak. Des mémos  révélés par WikiLeaks font état d’une escalade des arrestations des membres de la fraternité ces dernières années, notamment en 2010 avec l’arrestation de plusieurs leaders du mouvement, peu de temps avant les élections législatives.

Quelle place occupent-ils dans la galaxie de l’islamisme ?

La galaxie de l’islamisme est aussi large qu’hétérogène. Au-delà des disparités entre les mouvements, tous considèrent l’islam comme une idéologie politique. Initié par Al-Banna, cet islamisme sunnite se structure politiquement par opposition au nationalisme à partir des années 1970. Tant les sunnites (qui représentent environ 80% des musulmans) que les chiites ont connu leur moment islamiste. La révolution iranienne de 1979, portée par Rouhollah Khomeiny, a débouché sur l’établissement de la République islamique, fondée sur une doctrine islamiste.

En dehors du clivage sunnite-chiite, des groupes très différents se réclament de l’islamisme. Côté sunnite, les Frères musulmans se retrouvent sous le même label qu’Al-Qaida. Ayman al-Zawahiri, idéologue de groupe, s’en est régulièrement et violemment pris aux Frères musulmans, coupables de concessions à la laïcité et à la “démocratie”. L’inverse est vraie ; les Ikhwan (“frères”, en arabe) ont systématiquement condamné les actions d’Al-Qaida. Ils ont renoncé à la violence et prennent part à la vie sociale et économique égyptienne, voire à la vie politique.

Post-islamisme

A l’image de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) turque, les Frères musulmans ont revu leurs revendications à la baisse. Une frange radicale a fait sécession, poursuivant un jihad agressif, mais la majorité n’a pas suivi.

Ils sont devenus conservateurs quant aux moeurs et libéraux quant à l’économie

écrit Olivier Roy, professeur et directeur du programme méditerranéen de l’Institut universitaire européen de Florence (Italie). Exit les grands projets de société et les changements radicaux des institutions. Ils se sont en quelque sorte “sociaux-démocratisés” en entrant dans le jeu politique égyptien.

La galaxie de l’islamisme est devenue un trou noir. Dès 1992, Olivier Roy écrivait L’échec de l’islam politique. Il parle aujourd’hui de révolutions post-islamistes. L’islam politique n’a pas survécu à la confrontation avec les pouvoirs en place. Les plus radicaux se sont marginalisés en usant d’une violence extrême, à l’image d’Al-Qaida, la majorité a accepté le jeu politique de leur Etat respectif.

Quel est le programme politique des Frères Musulmans ?

N’ayant jamais été au pouvoir, le programme politique des Frères musulmans est avant tout un programme d’opposition dont la revendication principale est la déconstruction du régime Moubarak : réforme de la Constitution, respect des libertés individuelles, instauration d’une démocratie parlementaire.

Concernant les questions économiques, les Frères musulmans sont favorables à une politique social-démocrate comprenant la révision du rôle de l’Etat, l’extension de l’état providence, des réformes fiscales, la lutte contre le chômage et le protectionnisme. Un programme très similaire aux autres partis d’opposition, avec qui ils se sont d’ailleurs parfois alliés.

Un rôle de conseil

Ce qui différencie vraiment les Frères musulmans des autres se résume en un slogan : « l’Islam est la solution ». Les Frères musulmans veulent officiellement le retour du Califat et appliquer la loi de la charia (la loi musulmane) en Egypte. Mais nuançons la portée de ces annonces : la Constitution actuelle de l’Egypte, dans son article 2, reconnait déjà l’Islam comme religion officielle, et la charia comme principale source du droit égyptien. Par ailleurs, à la différence de l’Islam chiite d’Iran, les Egyptiens sont essentiellement sunnites : ils voient dans le clergé un rôle de conseil plus que de législateur absolu. Comme le soutenait récemment Sobhi Saleh, une figure importante de la confrérie, au Wall Street Journal :

L’Occident nous voit comme l’Iran, mais nous sommes différents. Nous sommes bien plus proches du régime turque.

Mais toutes ces propositions demeurent assez vagues. La dernière fois que la confrérie a publié un programme politique complet, c’était en 2007 un document de travail provisoire lourdement critiqué, notamment sur la question du droit des femmes et des chrétiens coptes qui ne pouvaient accéder aux postes les plus importants de l’administration. De même, beaucoup de Frères musulmans se passeraient volontiers de l’application de la Djizîa, l’impôt sur les non-musulmans que le Coran exige. Mais les conservateurs craignent l’effet domino que pourrait engendrer une renonciation officielle de certaines mesures dictées par la Charia…

Empêchés pendant longtemps par le pouvoir de jouer un rôle officiel, les Frères musulmans n’ont jamais vraiment consacré de temps et d’énergie à mettre de l’ordre dans leurs divisions internes. En attendant, le doute plane, à la faveur de la méfiance de l’Occident…

Dans quelle mesure peuvent-ils participer au pouvoir ?

Malgré leur interdiction officielle, les Frères musulmans sont devenus au fil des années le principal parti d’opposition à Hosni Moubarak. En 2000 ils gagnaient 17 sièges au parlement et en 2005 ils obtenaient 20% de l’Assemblée soit 88 députés.

Depuis les années 80, ils ont beaucoup gagné en légitimité et en popularité, notamment grâce aux actions sociales déployées pour compenser l’abandon de l’Etat sur ces questions. Dispensaires, écoles, soupes populaires… Les Frères musulmans sont très présents auprès des classes précaires de la société égyptienne. En 1995, lorsque l’Egypte fut frappée d’un tremblement de terre, les premiers secours et logements temporaires furent mis en place par les Frères musulmans, qui réquisitionnèrent les mosquées pour accueillir les personnes dans le besoin.

Mais quand bien même les oeuvres sociales de la confrérie sont approuvées par le peuple égyptien, cela ne leur garantit pas un soutien massif jusque dans les urnes. Comme le souligne Christopher Anzalone, doctorant à l’Institute of Islamic Studies de l’Université de McGill « Beaucoup de chercheurs émettent des doutes sur le fait que les Frères Musulmans pourraient être portés au pouvoir dans une Egypte post-Moubarak/post-autoritaire ».

Blocages et désaccords

Malgré le bon score électoral de 2005, l’organisation s’est depuis montrée plus divisée que jamais. En 2009, l’élection de Mohamed Badei comme successeur au poste de guide suprême des Frères musulmans a déclenché une vague de protestations sans précédent au sein du groupe réformiste. Dans les colonnes de ikhwanweb, le site officiel anglophone de l’organisation, on peut d’ailleurs y lire plusieurs tribunes très critiques à l’égard du processus électoral interne, notamment celle du blogueur réformiste Khalil El-Anani :

Cette crise a mis en relief l’absence de véritable démocratie et de transparence dans l’organisation. Sur toile de fond d’élections controversées et de procédures incompatibles avec les réglements internes, Akef (ndrl : le chef suprême sortant) n’a pas réussi à contenir les conflits sur le futur bureau d’orientation. (…) Ces élections, équivalentes à un coup d’état sans effusion de sang pour les réformistes et les pragmatiques, ont détruit les espoirs de la jeune génération de réformes internes. La plupart des membres du bureau d’orientation ont plus de 50 ans et n’ont pas penchant réformistes. Mis à part El-Erian, on sait peu de choses sur eux. Les membres des frères musulmans de la base sont autant dans la confusion que le grand public.

Et la situation ne s’est pas améliorée depuis. Lors des dernières élections législatives de novembre, le mouvement s’est à nouveau décrédibilisé, cette fois-ci sur la question du boycott des élections, proposé par les autres partis d’opposition à Moubarak. Alors que les conservateurs étaient favorables à la participation aux élections (qui permet notamment aux éventuels élus de bénéficier de l’immunité parlementaire), les réformistes préféraient quant à eux se joindre au boycott, en partie pour ne pas donner l’impression de jouer le jeu de Moubarak. Au final, l’hésitation des Frères musulmans a non seulement remis au grand jour leur divisions, mais ils n’ont surtout gagné aucun siège.

Même schéma lors des manifestations du 25 janvier : les Frères musulmans hésitent encore. La jeune génération qui veut se joindre officiellement au mouvement se heurte aux conservateurs, plus frileux, notamment par peur des représailles dont l’appareil sécuritaire du régime Moubarak était coutumier. Lorsque les Frères musulmans décident finalement de rejoindre les manifestations, ils se font discrets. Depuis, bien qu’ils étaient été invités à négocier avec Omar Souleiman, ils ne cessent de répéter que cette révolution n’est pas la leur, qu’ils ne veulent qu’une chose : le départ de Moubarak. Ils se rangent même derrière le leadership de Mohamed El Barradei qui ne leur est pourtant pas très favorable.

Mais maintenant que Moubarak a définitivement quitté le pouvoir et que l’armée tient le régime, les Frères musulmans vont pouvoir enfin jouer un rôle concret dans la vie démocratique de l’Egypte. Ils ont déjà annoncé vouloir créer un parti officiel si le conseil suprême de l’armée l’autorise. Mais même s’ils deviennent des interlocuteurs incontournables, les estimations ne leur octroient que 15 à 30 % des suffrages. Ce qui est loin de constituer une majorité au parlement, et laisse largement la place à d’autres partis.

Quelle est la position de la confrérie vis à vis d’Israël et de l’Occident ?

Dans une déclaration modérée quoique sibylline, le Premier ministre israélien a affirmé le 31 janvier : “l’Egypte devrait surmonter la vague actuelle de manifestations, mais [le gouvernement israélien] doit regarder vers le futur”. L’inquiétude transparait. Même son de cloche chez son Ministre des Finances Yuval Steinitz qui déclarait :

les Frères Musulmans sont fanatiques, pas moins que les Mollahs d’Iran.

Depuis le début de la révolte, le gouvernement israélien suit avec la plus grande attention les événements. En jeu, les accords de paix de Camp David, signés par Sadate en 1981, qui pourraient être remis en cause si les Frères Musulmans arrivaient au pouvoir, en tout cas selon Tel Aviv.

En jeu aussi les livraisons de gaz égyptien à Israël. Signé en février 2008, un accord prévoit la vente de 1,7 milliards de mètres cubes par an pendant 15 ans. La livraison a atteint 2,1 milliards de mètres cube en 2010 et pourrait dépasser 3 milliards de mètres cube cette année. Le 5 février dernier, une explosion dans le terminal gazier d’El-Arish, dans le nord du Sinaï a interrompu le traffic du gazoduc et attisé les craintes de voir les livraisons de gaz remises en cause avec un nouveau régime égyptien.

L’Egypte tire des revenus substantiels de cet accord, le commerce a atteint 502 millions de dollars en 2010. L’opposition égyptienne a dénoncé à plusieurs reprises le prix de vente du gaz qu’elle estime être en-dessous des prix du marché. “L’accord est un affront pour la fièreté des Egyptiens et une trahison” selon Ibrahim Yousri, un ancien diplomate égyptien. Un arrêt total des livraisons est peu probable, vu le revenu que tire l’Etat égyptien de ces ventes.

Ambiguïté et pragmatisme

A propos d’Israël, les Frères musulmans cultivent l’ambiguïté. Les dernières déclarations se veulent plutôt conciliantes. Sobhi Saleh, membre important de la confrérie, a affirmé que les Ikhwan respecteraient le traité de paix avec Israël “aussi longtemps qu’Israël ne l’enfreindra pas en premier”. Une posture déclaratoire ? D’autres usent d’une rhétorique plus musclée, à l’instar de Mohammed Badie, chef de la confrérie, qui parlait le 16 janvier dernier du “régime sioniste [qui] cherche la destruction de [leurs] valeurs, cultures et de l’identité islamique au profit de ses valeurs occidentales”.

Le même déclarait que les Frères musulmans “n’[avaient] aucune animosité envers les pays occidentaux”. Pragmatiques, les Frères Musulmans ? Le gouvernement de transition, auquel ils participeront probablement, aura plus que jamais besoin des milliards de dollars d’aide de Washington. Et puis, la question d’Israël et des Etats-Unis est intimement connectée, tant un regain de tension avec Israël serait perçu par Washington comme une atteinte à ses intérêts nationaux.

>> Photos flickr CC Asim Bharwani ; it is on ; Bismika Allahuma ; Ramy Raoof

]]>
http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-ces-questions-qui-agitent-loccident/feed/ 5
Les Frères musulmans vus d’Egypte http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-vus-egypte/ http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-vus-egypte/#comments Thu, 17 Feb 2011 13:22:33 +0000 novinha56 http://owni.fr/?p=47197 L’Égypte fait son grand nettoyage du siècle et l’Occident tremble. Visiblement, ces tremblements n’atteignent pas uniquement les plateaux télé et les éditos des éditocrates comme en témoignent, les appels et les mails que j’ai reçus. « Et les Frères Musulmans : t’as pas peur qu’ils prennent le pouvoir ? ». Apparemment, certains craindraient qu’une fois au pouvoir, les Frères Musulmans s’empresseraient d’attaquer l’Europe. Huntington est mort en 2008, mais sa théorie grotesque du « Choc des Civilisations » continue à alimenter les pires fantasmes. Voici quelques réflexions sur ce thème qui, je l’espère, désamorceront les inquiétudes.

Des prières dans les rues, et alors ?!

Je me suis laissée entendre dire que les prières massives sur Tahrir auraient éveillé de bien terribles frayeurs chez mes concitoyens. Comment en est-on arrivé à ce point, en Occident, de considérer une foule en prosternation au Caire comme potentiellement dangereuse ? Ici, même les non-musulmans et les non-pratiquants ont été émus par ces mêmes scènes. Les Coptes (chrétiens égyptiens) n’ont visiblement pas été plus terrifiés, comme en témoigne les longues chaînes humaines qu’ils ont formées autour des orants afin de permettre à leurs concitoyens musulmans de prier en paix. Il faut rappeler que l’Égypte est un pays majoritairement musulman (environ 90%), dont une écrasante majorité est croyante et une très grande partie pratiquante. En cela, la société égyptienne est fondamentalement différente de la société française. Cela signifie-t-il que cette masse de musulmans pratiquants s’alignent derrière les positions des Frères Musulmans ? La réponse est claire et sans appel : NON. Parler des Frères Musulmans en filmant des hommes en prière, ou des femmes en foulard n’a aucun sens et frise la désinformation.

Mais où sont-ils, les frères musulmans ?

Interrogée par un journaliste, il y a quelques jours, qui voulait faire un article sur le sujet, je me suis mise à chercher un Frère Musulman dans mon entourage. Bien que vivant dans un milieu musulman pratiquant, je me suis rendu compte que je n’en connaissais pas. Je me suis alors tournée vers l’homme qui partage ma vie et lui ai posé la question. Il connait beaucoup plus de monde, dans des milieux différents. Il cherche, il ne trouve pas. Le soir sur Twitter, je discute avec un manifestant de la place qui aborde le même sujet. Avec ses amis, ils se rendent compte qu’ils ne connaissent pas de Frères Musulmans.

Cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas, cela signifie tout simplement qu’on leur accorde une importance démesurée.

Une force politique ? Oui et non

Il faut cependant reconnaître que lorsqu’ils se sont présentés aux élections en 2005 (sous l’étiquette « indépendants » la confrérie étant interdite de se présenter aux élections), ils ont fait un carton, 88 élus, soit 20% des sièges, et ce malgré plusieurs fraudes constatées. Ce bon succès explique surement le silence des puissances internationales face à la fraude massive des législatives de novembre 2010 qui ne laissera, cette fois, aucun Frère s’asseoir au Parlement.

Peut-on conclure qu’en cas d’élections libres : les Frères musulmans remporteraient haut la main le pouvoir ou tout au moins rafleraient une grosse partie des sièges au Parlement? Je ne le pense pas et ce pour plusieurs raisons.

La première raison est conjoncturelle, la confrérie, on l’a souvent souligné, est la seule force sérieuse d’opposition. Par conséquent, et lorsque cela est possible, se concentrent sur elles, toutes les voix dissidentes du régime. L’électeur serait d’avantage anti-PND (Parti National Démocratique = parti de Moubarak) que pro- Frères Musulmans sachant pertinemment que dans un système ultra-verrouillé par le PND, jamais les Frères musulmans n’auraient accès au pouvoir.

Dans un contexte d’élections libres, avec la disparition du PND et l’apparition de nombreux partis, il y a fort à parier que les Frères Musulmans perdraient les votes contestataires.

La seconde raison est structurelle. Les Frères musulmans ont réussi, jusque-là, à entretenir une certaine cohésion. Face à l’adversité, mieux vaut être unis. Malgré cela, ils n’ont pu empêcher les dissensions internes. Elles ont de tout temps existé, et ont, dans le passé, donné naissance à des groupes violents rejetés par la confrérie. Aujourd’hui, les dissensions se font davantage entre la vieille garde traditionaliste et la jeune garde, plus réformatrice, plus en phase avec les problèmes contemporains. En 1996, un petit groupe se sépare de la confrérie pour créer « le parti du milieu », parti qui ne verra jamais le jour : les autorités interdiront sa création. Très influencés par les modes de gouvernance à l’occidentale, ils prônaient la démocratie, l’alternance, le respect de toutes les libertés collectives et individuelles. Preuve d’ouverture : un Copte faisait partie du comité fondateur du parti. Dans un système d’élections libres, et si la Constitution est amendée (elle interdit pour l’instant la création de partis politiques sur des bases confessionnelles), ces jeunes créeront leur parti et fédéreront autour d’eux un certain nombre d’individus. Si on devait rapprocher ce mouvement d’autres mouvements religieux sur la scène politique internationale : on pourrait lui trouver des points communs avec l’AKP en Turquie.

Les Frères connaissent leurs faiblesses et c’est certainement la raison pour laquelle ils ont clairement dit qu’ils ne voulaient pas du pouvoir. Mais leur parole est remise en doute en Occident « peut-on les croire ? » Les Frères musulmans n’avaient pas prévu d’être au pouvoir à court terme. Ils n’ont pas de programme crédible. Au pouvoir, ils vont se faire griller et précipiteront par la même leur chute pour longtemps. La meilleure stratégie est donc pour eux, de rester dans l’opposition, d’entrer au Parlement et de faire pression pas ce biais, éventuellement au sein d’alliances de circonstances.

La confrérie : repoussoir efficace et utile

Je pense qu’une grande partie du succès des Frères musulmans tient en ce qu’ils étaient utiles à la fois au pouvoir en place et à l’étranger.

Pour le pouvoir, ils étaient la raison de sa légitimité : « c’est nous ou les Frères musulmans ». Le régime a toujours oscillé en leur direction entre le laisser-faire et la répression. Le jeu consistait à ne pas leur donner trop de pouvoirs tout en leur accordant un certain espace de liberté afin de montrer à quel point ils pouvaient être une force mobilisatrice importante. Les manifestations contre les caricatures danoises en sont la parfaite illustration. Dans un pays sous état d’urgence où toute manifestation est interdite, voilà que des milliers de personnes investissent les rues avec la bénédiction de l’État. Quel effet ont pu avoir de telles foules vociférantes contre les blasphémateurs Occidentaux ?

En Occident, le spectre des Frères Musulmans permet aux dirigeants de faire le grand écart entre la promotion de la démocratie dans le monde d’une part et le soutien aux dictatures policières d’autre part. Moubarak est certes un dictateur qui opprime son peuple, mais il est aussi un allié stratégique de poids dans cette région tourmentée. Un autre régime, même non-islamiste, sera-t-il aussi « conciliant » envers Israël ? La rue égyptienne est peu encline à la guerre avec Israël, mais elle est aussi très sensible au sort des Palestiniens. Aucun régime égyptien tenant sa légitimité de son peuple ne sera aussi conciliant avec Israël que ne le fut le régime de Moubarak. Par conséquent, le régime Moubarak aide au maintien du statu quo dans la région et l’épouvantail des Frères musulmans permet de justifier aux yeux des opinions publiques occidentales le soutien à la dictature.

En Occident, le discours est parfaitement relayé par les éditocrates, Bernard Henri Levy en donne une brillante illustration dans ses derniers éditos du Point. Dans le lot, il faut aussi rajouter Christophe Barbier déclarant « mieux vaut Ben Ali que les islamistes » ce qui vaut évidemment aussi pour l’Égypte, et l’imbattable Yves Calvi qui n’a visiblement plus besoin d’invités pour faire ses émissions.

En Égypte, ce discours est aussi relayé, preuve à mes yeux, que la propagande fonctionne. J’ai ainsi reçu par mail un texte écrit par le Père Boulad, un jésuite respecté et un journaliste égyptien.

« Mais, une fois mise au monde, celle-ci [La Révolution] n’a pas tardé à être arnaquée par les Frères Musulmans qui ont cherché à la récupérer, à en faire leur affaire, à la voler aux jeunes qui l’avaient créée et inventée. »

Aujourd’hui, les jeunes craignent de se voir confisquer leur Révolution par l’armée. Les Frères Musulmans, présents à Tahrir, n’ont jamais été perçus par les jeunes comme des « voleurs » de Révolution. Pour avoir suivi les tweets des activistes sur place, la menace Frères musulmans ne semblait pas les préoccuper : ils ont tout au plus été agacés par la présence des Frères musulmans.

Dans le même texte, un peu plus loin :

« La majorité des chrétiens – à part certains activistes ou intellectuels engagés –se tiennent plutôt à l’écart de ces bouleversements politiques et auraient, paraît-il, reçu des consignes en ce sens de leur hiérarchie. En fait, ils vivent dans la peur et envisagent le pire au cas où les Frères Musulmans prendraient le pouvoir. Pour l’instant, Dieu merci, aucun incident confessionnel ne s’est produit, bien que les églises et couvents ne soient plus protégés par la police. »

L’intégralité de la lettre : ici

Que les Coptes aient reçu des consignes de leur hiérarchie religieuse de ne pas prendre part aux manifestations ; c’est un fait. Le pape Shenouda a réaffirmé son soutien à Moubarak, tout comme le grand sheikh d’Al-Azhar. Mais à titre individuel, les Chrétiens sont bien présents dans le mouvement. La question des Frères Musulmans a été posée à un jeune responsable copte de Tahrir sur la BBC World. Il a répondu en substance, qu’il n’approuvait pas les positions des frères, mais qu’ils devaient entrer dans le jeu démocratique. Toute tentative visant à museler les Frères musulmans serait contraire au combat qu’il mène en faveur de la démocratie.

De son côté, un jeune leader des Frères Musulmans témoigne de cette expérience unique sur Tahrir. Il insiste sur le fait que l’expérience révolutionnaire a profondément marqué les jeunes Frères, il précise : « La Révolution égyptienne a rendu les jeunes Frères musulmans plus tolérants dans l’acceptation des autres. Sur la Place Tahrir, nous les avons vus sympathiser et manger avec des femmes, des Coptes et des gauchistes. Cette expérience va changer un bon nombre d’idées du groupe ». Source : Al-Masry Al-Youm

Article initialement publié sur Le blog à Becassine

>> photos flickr CC Takver ; kodak agfa ; Joseph Hill

]]>
http://owni.fr/2011/02/17/freres-musulmans-vus-egypte/feed/ 3