Une planète antiterroriste

Le 9 septembre 2011

OWNI a développé avec RFI une application qui recense les législations antiterroristes dans le monde. Justice d'exception, surveillance accrue, alibi pour les États autoritaires. Triste panorama de trois décennies d'antiterrorisme.

Cette application interactive (faites glisser la barre chronologique, cliquez sur les pays etc…) a été développée par OWNI en partenariat avec RFI.

L’application ci-dessus permet de naviguer dans les lois antiterroristes votées dans le monde, au lendemain d’attentats, 11 septembre ou autres. Ces lois constituent le noyau le plus dur des lois sécuritaires, celles qui restreignent drastiquement les libertés individuelles.

Comme le montrent les couleurs de la frise chronologique sur l’application, les années post-11 septembre ont connu un accroissement exponentiel des dispositifs de lutte antiterroriste. Certains existaient déjà. En France, l’arsenal législatif existait depuis 1986, lorsqu’une vague d’attentats touche le pays. La “loi fondamentale relative à la lutte contre le terrorisme” institue une justice d’exception pour les affaires terroristes : un corps de juges d’instruction et de procureurs spécialisés est créé, “la 14e section du parquet”.

En 1996 est introduit un nouveau délit, “l’association de malfaiteur en relation avec une entreprise terroriste”, clé de voûte de l’antiterrorisme à la française, fondé sur la justice préventive. Un délit spécifique à la législation française, très critiqué. “Il ouvre la voie à l’arrestation, l’interpellation, la détention sur simples suspicions. Aucun acte matériel n’est nécessaire” explique Patrick Baudouin, avocat spécialisé sur les questions terroristes et président d’honneur de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH).

Au cœur des années de plomb, l’Italie s’était déjà dotée d’une législation antiterroriste. Dès 1975, la loi Reale consacre la prépondérance de la police sur la magistrature dans les enquêtes et les accusés peuvent être interrogés sans avocat. Des dispositifs similaires sont mis en place en Espagne pour lutter contre ETA, le groupe indépendantiste basque : renforcement des effectifs policiers, augmentation des contrôles sur les routes en 1983, introduction en 1984 du statut du repenti pour les prisonniers ayant commis des actes terroristes, régime pénitentiaire spécial en 1991. En Inde aussi, le Terrorist and Disruptive Activities Act de 1985 institue une justice d’exception pour les actes terroristes.

Alibi

La lutte antiterroriste a servi d’alibi aux régimes autoritaires, rappelle la FIDH. La Tunisie de Ben Ali, Égypte de Moubarak ou la Russie de Medvedev et Poutine, entre autres, s’appuient sur des lois antiterroristes “pour conforter le pouvoir politique déjà en place” dénonce le vice-président de l’ONG, Dan Van Raemdonck.

En 2003 est votée à Tunis la loi antiterroriste “relative à l’appui aux efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et le blanchiment de l’argent.” Elle institue une justice d’exception pour les actes terroristes et permet de protéger l’identité des agents de la Direction de la Sécurité de l’État. “Une caricature”, selon Patrick Baudouin, de la répression politique des militants ou opposants au nom de la lutte contre le terrorisme.

Après le 11 septembre, même les démocraties traditionnellement très protectrices des libertés individuelles ont aussi adopté des législations antiterroristes. Le Patriot Act, voté aux États-Unis 40 jours après les attentats, et son équivalent britannique Anti-terrorist Act en sont les symboles. D’autres pays leur emboîtent le pas : le Canada, l’Australie ou encore l’Allemagne.

Impossible définition

Au cœur de ces législations, une définition du terrorisme. Jamais la même. L’Union Européenne a tenté d’harmoniser les législations des États membres avec la décision-cadre du 13 juin 2002. Une définition large ici aussi, pour faire consensus. Laurent Bonelli, sociologue et maître de conférence en science politique à l’Université Paris-X, résume l’équation européenne :

Dès lors que l’on se retrouve dans un rapport de force politique, il devient compliqué pour les États de donner une même définition du terrorisme. Il s’agit d’une bourse d’échange des peurs où il faudrait que les États reconnaissent les groupes terroristes des autres pays pour en avoir une même définition.

De grands écarts existent entre les définitions européennes du terrorisme. Le Royaume-Uni considère que l’acte terroriste consiste à influencer le gouvernement ou une organisation gouvernementale internationale dans une prise de décision. En Allemagne, le soutien apporté à une grève de la faim avec des militants étrangers peut être qualifié d’acte de terroriste. L’objectif de la décision-cadre est d’harmoniser les législations européennes en matière de lutte contre le terrorisme, au risque d’aliéner les libertés individuelles comme le rappelle Laurent Bonelli :

La commission européenne s’est constituée comme interlocutrice principale pour l’Europe et a demandé une évolution de la législation antiterroriste des États membres quitte à avaler des couleuvres concernant le principe vie privée plutôt que de se tenir vent debout sans rien faire.

Par capillarité, ces lois débordent sur les infractions de droit commun. La lutte contre le trafic de drogue ou contre l’immigration illégale s’appuient sur des dispositifs, notamment de surveillance, mis en place par les lois antiterroristes. Elles débordent aussi sur l’ensemble des citoyens en multipliant les fichiers de police. “De nouvelles formes de contrôle social à l’égard des citoyens émergent” critique Dan Van Raemdonck de la FIDH.

Le simple fait de visiter un site Internet classé comme terroriste peut suffire aux autorités allemandes pour déclencher une procédure sophistiquée de mise sur écoute, prévoyant également la localisation des téléphones portables ainsi que la collecte d’informations dont la nature n’est pas clairement spécifiée. De nombreux pays du monde ont généralisé la collecte massive de données par l’intermédiaire des fournisseurs de télécommunications, à l’image de la France avec la loi sécurité quotidienne votée en octobre 2001.

Justice d’exception

Les législations antiterroristes s’appuient sur une justice d’exception : cour spéciale, procédures spécifiques. Au Royaume-Uni, depuis 2006, la période de garde à vue a été fixée à 28 jours. En Colombie, les forces armées peuvent détenir un suspect pendant 36 heures tout en menant des perquisitions à leurs domiciles et procéder à des écoutes sans mandat de l’autorité judiciaire.

En juin dernier, un projet de loi en Arabie Saoudite a été déposé. Il prévoit une période de 120 jours de détention au secret pour les personnes suspectées de terrorisme, une période qui peut devenir illimitée avec l’accord d’un tribunal spécial. Le tout sans inculpation, sans jugement et sans avocat.


Retrouver l’intégralité du dossier de RFI sur les 10 ans des attentats du 11 septembre.

Application designée par Elsa Secco et Marion Boucharlat, développée par Pierre Romera avec Julien Goetz.

Crédits Photo FlickR CC by-nc Jasone Powell

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